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Né Sous X
   
 
 
«Il n'y a rien de pire que de ne pas savoir»
En Isère, un collectif se bat pour accéder aux dossiers.

   
Par Olivier BERTRAND
jeudi 13 février 2003

Grenoble envoyé spécial

Une assistante sociale avait dit à Sophie (1) : «Etant donné votre histoire, il vaut mieux ne rien savoir.» Abandonnée à la naissance, la jeune femme a imaginé le pire, ressassé des histoires de viol collectif. Puis, il y a trois semaines, elle a retrouvé son père. Et le récit qu'il lui a fait ressemble à une histoire d'amour. Sa mère n'était pas libre, et lui était ouvrier tunisien, à la fin des années 60. Après la naissance, l'homme avait demandé à voir l'enfant, et tenté de le reconnaître. Mais l'administration l'en avait dissuadé, avant de cacher à sa fille ses origines. Pour les découvrir, Sophie a mené un combat juridique et politique, qui se poursuit aujourd'hui, au sein d'un collectif isérois d'ex-pupilles de l'Etat.

Véritable gageure. Ils sont neuf au total, et réclament les dossiers que leurs mères ont remplis au moment de l'abandon. Une gageure en Isère, où l'administration considère que l'anonymat s'impose aux enfants, même lorsqu'il n'a pas été expressément demandé. Le collectif a fini par interpeller André Vallini, président (PS) du conseil général de l'Isère (compétent sur ces questions). Il a mis du temps à comprendre l'enjeu avant d'annoncer au collectif, en janvier, qu'il avait demandé l'avis du Conseil national pour l'accès aux origines personnelles (Cnaop). «Mais la loi sur le Cnaop ne concerne en rien l'accès aux documents administratifs, conteste Pascal, l'un des membres du collectif. Nous n'avons demandé à personne de retrouver nos mères. Nous demandons seulement à connaître nos origines.»

Légalement, pour que le secret s'impose aux enfants, les mères doivent en avoir fait la requête expresse. Ce n'est pas le cas en Isère. Les mères ont juste rempli un questionnaire, surmonté d'un texte précisant que la mère «peut ne pas répondre aux questions qui lui sont posées, mais [elle] doit savoir que les renseignements ne sont demandés que dans l'intérêt de l'enfant». Le collectif en déduit que si elles ont répondu, c'est qu'elles acceptaient l'idée que leurs enfants sachent d'où ils venaient.

«Réaction de déni». Lorsque Pascal a retrouvé sa mère, il y a un mois, elle lui a confirmé avoir laissé son identité dans ce but. «Quand je l'ai appelée, la première fois, elle s'est d'abord méfiée, raconte-t-il. Il y a d'abord une réaction de déni. Il lui a fallu vingt-quatre heu res pour se retourner. Le problème avec le Cnaop, c'est qu'il veut renouer le contact par l'intermédiaire d'un médiateur, qui sonderait les intentions des mères. Au premier refus, il n'insisterait pas.»

Camille, universitaire, va plus loin. «Le dernier rapport des mères à la Ddass était d'une violence incroyable. Cela n'a pas de sens de vouloir refaire le lien en passant par l'institution.» Elle, s'est débrouillée seule pour retrouver sa mère. Qui a refusé de la voir. Camille a alors pris le train, et l'a appelée un soir, depuis une cabine, en dessous de chez elle. Elle y est restée plus de deux heures, avant de lâcher : «Ouvrez au moins votre fenêtre, pour voir à quoi je ressemble.» Mais la fenêtre est restée close, et Camille est repartie. Est-ce qu'elle regrette sa démarche ? «Pas une seconde. Il n'y a rien de pire que de ne pas savoir d'où l'on vient.»

Traumatisme. Selon certains fonctionnaires, il est «traumatisant» pour les mères de voir ainsi débarquer dans leur vie des enfants qu'elles ont abandonnés. «Mais ce qui est humiliant pour elles, estime Florence, c'est d'apprendre qu'elles ont fait l'objet de véritables enquêtes. Ce serait moins douloureux si nous les retrouvions grâce aux renseignements qu'elles-mêmes ont laissés.» Comme beaucoup, Florence est passée par un détective, car les services ne lui avaient fourni qu'une photocopie de son dossier, avec des informations blanchies, d'autres erronées. Un classique en Isère, où les éléments les plus blessants ont été en revanche livrés sans retenue. Didier a par exemple reçu une photocopie sur laquelle, à la rubrique «tares et infirmités», quelqu'un avait laissé, pour le père : «De race noire.»

Face aux barrages, le collectif s'est fait expert en généalogie, pour remonter aux origines. Puis le bras de fer politique a fini par porter ses fruits. La semaine dernière, Stéphanie, la première, a consulté l'intégralité de son dossier. A la place du nom de famille, la mère avait tracé une croix. «Ce qui prouve, estime la jeune femme, que les mères qui le désiraient ont su rester anonymes. Pour les autres, l'administration s'est chargée de Xifier.».

(1) Les prénoms ont été changés à la demande des intéressés.

© Libération

 
   
     
   
   

mise à jour le 20 février 03