accueil  
actualité  
revue de presse  
livres  
liens  
webmaster  
Né Sous X
   
 
 
Minée par le sentiment d'abandon, Pascale Odièvre se heurte depuis vingt ans à un mur de silence
   
Par : PASCALE KREMER
11 Octobre 2002

Minée par le sentiment d'abandon, Pascale Odièvre se heurte depuis vingt ans à un mur de silence

• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 11 Octobre 2002

SON HISTOIRE, on l'a « gommée ». A la place, il n'y a que du « vide ». Un grand vide qui empêche Pascale Odièvre de se construire une vie. Célibataire, sans enfant, sans emploi, cette jeune femme menue au teint diaphane n'a qu'une obsession : faire enfin « le deuil des origines » en retrouvant la trace de ses parents biologiques.

Non pas que ses parents adoptifs aient failli à leur mission. Pascale Odièvre a été adoptée en 1967, à presque 3 ans, par un couple qui ne s'est « pas trop mal » débrouillé avec elle. « Est-ce parce que je suis une enfant adoptée ? Je demandais énormément, trop peut-être, d'affection », concède-t-elle. Pascale, qui a aujourd'hui 37 ans, a toujours su qu'elle avait été adoptée. « Je me souviens de la séparation avec la famille d'accueil. D'une maison en Normandie, d'une voiture, puis d'un appartement à Paris. Je savais que je venais de l'extérieur. »

A 18 ans, dans un moment de solitude, émerge l'interrogation sur les origines. Ses parents, dit-elle, fuient la discussion. « Le sujet est tabou. » Trois fois, quatre fois, elle se rend, seule, à la Ddass pour obtenir communication de son dossier. Et finit par apprendre que sa mère a accouché anonymement en 1965. Jamais, donc, elle ne connaîtra son identité.

D'un dossier de carton rouge, elle extirpe des photocopies écornées à force d'avoir été compulsées. Tous les renseignements identifiants ont été caviardés. Dans un accès de rage, elle a elle-même biffé ses lieu et date de naissance : « On m'a dit que même ça, ça pouvait être faux. »

Grâce au « Bulletin de renseignements concernant un enfant admis à l'hôpital-hospice Saint-Vincent-de-Paul », elle a appris que ses parents vivaient maritalement depuis sept ans à sa naissance, et ont eu deux enfants : « L'aîné, âgé de 21 mois, et Pascale que sa mère nous confie. » Le père, un peintre en bâtiment d'origine espagnole, était marié, et avait une fille légitime. « D'après les dires de la déposante, lit-on, son ami ne veut pas entendre parler de Pascale, déclare qu'il ne peut assumer cette nouvelle charge. » « Grave dépression »

Froidement, il est précisé que la mère de Pascale, qui ne travaille pas, « se soumet sans peine au désir de son ami » et se sépare de sa fille « dans une indifférence absolue », en demandant le secret de la naissance. A la rubrique Signalement de la mère, il est encore noté qu'elle a « un genre équivoque » et « des moyens intellectuels limités ». Des mots qui blessent Pascale bien qu'on lui ait dit de ne pas faire attention, « parce que ces femmes étaient méprisées ».

Des fonctionnaires de la Ddass, Pascale a fini par obtenir un renseignement précieux : ses parents biologiques ont eu deux autres enfants après sa naissance. Des garçons, semble-t-il, nés en 1966 et 1967, et eux aussi confiés en vue d'adoption. « J'ai surtout eu envie de chercher mes origines à cause de cette fratrie. Mes parents, au départ, je n'avais pas tellement envie de les chercher. Je les trouvais irresponsables. Faire trois enfants et les abandonner ! Que cela arrive une fois, encore, mais trois... »

Lorsqu'elle demande des renseignements sur ses frères, la Ddass lui oppose un refus. « Pourtant, nous étions tous majeurs à l'époque où j'ai fait la demande. Le plus jeune avait 23 ans !, s'agace-t-elle. Mes frères savent-ils qu'ils ont une soeur, abandonnée comme eux ? » Réflexion faite, elle tient aussi désormais à retrouver ses parents. « Je me dis que quarante ans après, ce ne sont plus les mêmes personnes. Je voudrais surtout savoir ce que ma mère est devenue. J'ai toujours eu le sentiment que lui s'en était sorti, mais pas elle. Elle est victime de tout ça, soumise, sans revenus. »

Tandis que ses recherches s'avèrent infructueuses, Pascale est hospitalisée, à 28 ans, pour une « grave dépression ». Aujourd'hui encore, elle recourt « par intermittence » aux psychotropes dont elle a abusé durant son adolescence. « J'ai toujours peur de l'abandon. Quand je finis une mission d'intérim de trois mois, je suis mal. J'ai peur de l'inconnu. Peur de la vie. »

Sur les conseils de son psychiatre, Pascale a fini par s'en remettre à un avocat qui, infructueusement, a déposé une requête auprès de la Ddass, puis mené une action auprès du tribunal de grande instance de Paris. Sachant qu'un recours devant la justice administrative serait tout aussi vain, il s'est directement adressé à la Cour européenne des droits de l'homme. Depuis, Pascale Odièvre rêve de « savoir enfin ce que ça fait de rencontrer quelqu'un avec qui on a des liens de sang »

PASCALE KREMER

Le Monde
 
   
     
   
   

mise à jour le 15 décembre 02